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John Landis : « Godzilla est entré à la Maison-Blanche »

Avant de rejoindre les Tropicales à Bordeaux, le cinéaste John Landis était l’invité d’honneur du Sofilm Summercamp à Nantes. Entretien exclusif avec un hall of famer de la pop culture, le réalisateur mythique des Blues Brothers.

Nantes (Loire-Atlantique), envoyée spéciale de l'Humanité

John Landis assemble les genres. Il les accumule jusqu’à ce qu’ils deviennent son genre. C’est un cinéaste de l’arborescence visuelle, où sous des strates fantasques, couve le drame social – Animal House – et où le film noir se figure en comédie romantique – Série noire pour une nuit blanche.

 L’enfant de Chicago exilé très tôt aux portes d’un Disneyland à peine sorti de terre choisit le cinéma pour obsession. Il devient son manège ou sa galerie aux miroirs déformants. Le cinéma est son barnum retranscrit en Cinémascope : de la réalisation du clip Thriller, de Mickael Jackson, au Loup-Garou de Londres, en passant par le western burlesque Trois amigos, il n’invente pas un univers, il le décale et fait entrer le spectateur dans un cinéma parallèle où la réalité porte toujours une veste à paillettes ou des lunettes noires.

Le regard de John Landis ne camoufle en rien l’enfance dans ce qu’elle a de plus étonné sur le monde et de plus facétieux. Tout se transforme avec lui en un drôle de récit. Même son récent accident à la jambe devient un prétexte à une histoire comique dont il est pourtant le héros malchanceux. Le jour de notre entretien, la matinée avait mal commencé avec l’ahurissant comportement de Donald Trump face à l’Iran et les questions de cinéphile n’étaient pas le sujet du jour…

Quelles sont vos impressions sur le Summercamp et pourquoi avoir choisi de présenter les Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick ?

John Landis Oh, vous savez, je me passionne et m’intéresse à toutes les initiatives qui privilégient le cinéma et sa diffusion, disons, classique. Et si ma venue amène encore plus de public, alors oui, je suis heureux d’être ici, à Nantes. C’est un festival où il n’y a pas une horde de médias, où on est très à l’aise avec le public et où on s’amuse beaucoup sans pression. Il y a quelques instants, je présentais les Sentiers de la gloire au Katorza. L’histoire de ce vieux cinéma me fascine. Son créateur, Salomon Kétorza, était juif. Il était fou de films. Je crois qu’avant la construction du Katorza, il voyageait en train à travers le pays pour les montrer aux gens. Pendant la guerre, le cinéma a été bombardé, puis rebâti. C’est incroyable. Il est un véritable théâtre de cinéma. C’est émouvant. Il a cent ans, il n’a pas été broyé par le marché et c’est presque unique. Bref, ainsi j’ai choisi le film de Kubrick d’abord parce qu’il traite d’une bande d’amis durant la Première Guerre mondiale, mais surtout, parce qu’on le connaît presque exclusivement à travers la télévision. Je voulais qu’on puisse savourer ce film dans des conditions de projection identiques à sa vision originelle. Le cinéma n’est pas un art du rétrécissement. On ne doit pas regarder les films sur un smartphone, c’est une injure au désir même de cinéma.

Il y a de nombreuses années, vous avez travaillé en Europe. Suivez-vous l’actualité politique et que pensez-vous de la situation globale ?

John Landis C’est tout simplement un cauchemar. Aux États-Unis, nous avons un président dangereux, corrompu et lunatique. C’est aussi simple que terrible. En quelque sorte, il incarne à lui seul la vraie violence du pouvoir dont on parle tant. Les États-Unis ne sont pas un cas isolé. Je vois aussi ce qui se passe en Italie, en Allemagne, même en France et, de manière incroyable, en Norvège, en Suède, partout dans le monde : on tangue, on bascule vers la droite et, plus encore, vers un nouveau fascisme. Oui, ça fait peur. On reste à se dire : « What the Fuck ? » Tout, jusqu’au Brexit, me paraît insensé. Je me demande où est passée la mémoire des gens. Ils ne se rappellent pas ce qui s’est déroulé il y a soixante-dix ans… Pourtant, ce n’est pas si loin, non ? Même en Espagne, la mémoire semble avoir disparu…

L’Espagne, vous y avez travaillé il y a longtemps…

John Landis Oui, j’ai travaillé en Espagne alors sous la dictature de Franco. Je peux vous dire que ça ne rigolait pas devant la Guardia civile : elle faisait peur… Pour autant, Franco comprenait très bien l’intérêt du cinéma et de laisser tous les films possibles – et surtout les westerns spaghettis – se tourner dans le pays. Je suis resté beaucoup à Almeria, la ville des tournages internationaux, où, sans trop de difficulté, je suis devenu cascadeur pour les films, entre autres, de Sergio Leone. J’ai appris mon métier sur tous les terrains. Mais, les années 1960-1970 ont été différentes, peut-être plus libres, plus aventureuses. Tous les débats sociaux, les manifestations, les prises de conscience contre la guerre du Vietnam ont produit un tel bouleversement dans la société que la crainte n’existait pas.

Aujourd’hui, on doit se forcer pour être optimiste, se persuader que l’espoir se dessinera dans le futur. Aux États-Unis, les temps sont aux ténèbres, mais dans deux ans, on votera et je souhaite… – silence. Vous savez, l’immense Abraham Lincoln aimait à dire : « On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps. »

C’est presque un principe d’espérance…

John Landis Oui, l’espoir ne se perd pas si aisément. Mais là où je suis perplexe et où je m’interroge, c’est comment on a pu passer de Barack Obama – cet homme est tout simplement l’élégance incarnée, éloquent, brillant, et rien pour lui n’a été facile – à Trump. Je n’aurais jamais imaginé qu’on bascule d’un coup, après cet homme, dans cette ère de corruption et d’immense ignorance. Ce changement radical est terrifiant, horrifique.

Cela vous fait-il penser aux monstres, que par ailleurs vous pouvez aimer ?

John Landis J’aime les monstres, oui, mais dans les films ou dans les livres. Tous les monstres de cinéma incarnent notre part sombre, ils signifient toujours quelque chose de l’humain. Je pense au film Abyss, ou à la créature Godzilla. Vous rendez-vous compte, ce monstre a été inventé dans le seul pays au monde qui a subi les ravages de la bombe atomique. Les Japonais ont réalisé des films sur ce géant radioactif qui détruit toute la ville. Et ce fut sûrement une façon de réfléchir au caractère maléfique de l’humanité. Mais cela reste des films, des fables philosophiques. Il n’y a rien de réel a priori. Quoique maintenant, à bien y penser, Godzilla  est peut-être entré à la Maison-Blanche. C’est une mauvaise blague mais Trump est un cartoon. Je suppose qu’en France, c’est la même chose, les temps sont mauvais, tout comme les gouvernements.

Regardez en Israël, Netanyahou est un personnage terrible. Il prend des décisions abjectes. Je soutiens ce pays et je suis juif, mais je suis aussi pro-Palestiniens. Je suis inquiet car, au bout d’un moment, à force de violence, dans ce monde ignorant les juifs redeviennent encore les coupables. On occulte la forte contestation interne et on amalgame tous les juifs aux choix de la politique des dirigeants israéliens. C’est une situation incroyable où les dirigeants des pays « are pigs » (sont des porcs). Tout paraît un danger potentiel. Les gens ne comprennent pas, ou pire, ils font mine de ne pas comprendre.

C’est-à-dire ?

John Landis Pour vous donner un exemple, on parle de la destruction de la planète, mais en réalité ce n’est pas la planète qu’on exécute mais l’humanité. Le climat ne sera plus vivable pour les hommes et certains êtres vivants, mais la planète, elle, elle s’en fout si les hommes disparaissent, elle poursuivra son bonhomme de chemin. En fin de compte, c’est nous qui sommes baisés. Et ce danger est là, tout proche. Un dirigeant comme Trump ou d’autres de son acabit continuent à nier le réchauffement climatique, etc. Ils sont égoïstes et poursuivent leur politique productiviste et destructrice de manière aveugle.

Dans ce contexte, où en est le cinéma ?

John Landis Vous savez, cela n’a rien à voir. On parle du monde dans son ensemble, et le cinéma, lui, appartient presque entièrement à l’industrie, au marché. Il y a une véritable révolution anthropologique et technologique, et ainsi, tous les médias et en particulier la presse quotidienne sont en voie d’extinction, un peu comme certaines espèces le furent. Le cinéma prend aussi cette voie mais de façon ironique et paradoxale : il est plus facile et moins cher de réaliser un film aujourd’hui. Pourtant, les temples du marché – les studios – sont frileux et ne prennent aucun risque. Certains de mes films ne se tourneraient et ne se produiraient pas aujourd’hui car jugés trop subversifs. C’est une conjecture étrange où un certain cinéma est empêché et, dans le même temps, on vend l’idée d’un potentiel infini. Mais personne n’est dupe.

Il existe toujours pourtant un cinéma indépendant…

John Landis Oui, c’est vrai. Mais combien de ces films trouvent une diffusion en salle ? Très peu. Et que deviennent tous ces films ? Des fantômes. Personne ne les verra.

Pouvez-vous parler d’Animal House (American College est le titre français), un autre de vos films devenu culte où on devine une forme de lutte sociale derrière le grotesque ?

John Landis Je répète souvent cette phrase de Godard : « Tous les films sont politiques. » Et c’est vrai. Mais pas à première vue. Animal House est un film romantique car il traduit les aspirations et les folies d’une jeunesse qui détruit les codes et cherche à être libre. Il a suscité un engouement dans tous les milieux, de droite comme de gauche, car je crois que les étudiants Delta (1), avec toutes leurs sauvageries, inventaient une fraternité sans préjugés, à l’opposé des Omega (1). Tous les jeunes gens passés par l’université s’y sont retrouvés d’une manière ou d’une autre. L’impression d’improvisation et de liberté du film vient peut-être de là, de cette jeunesse explosive, de cette fin des années 1970 où, comme je le disais tout à l’heure, la peur était dans les sous-sols de l’histoire…

(1) Noms que portent les confrèries étudiantes d’Amérique du Nord.
Entretien réalisé et traduit par Genica Baczynski

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